vendredi 27 février 2009

Tant qu'on pourra danser, tant qu'on pourra chanter

Dès le commencement, il y a sept ans, je suis vite devenue dépendante. C'était donc en toute partialité que j'attendais Labyrinthes, comme un chef d'oeuvre annoncé. Une troisième fois, les gars de Malajube réussissent ce qu'ils savent de mieux en mieux faire. Brillamment, d'une amplitude nouvelle ; d'une complexité architecturale et d'une brisure de rythmes qui me trottent sans arrêt dans la tête depuis une semaine. Assez pour traîner mon Ipod à l'hôpital et pour me permettre une écoute d'une pièce (ou trois) entre deux patients bien sages. Hier soir, c'était le premier de deux concerts au Téléphone Rouge. Parce qu'ils ont cette qualité là aussi ; celle de choisir, par souci d'intégrité, ces petits endroits intimes pour livrer leurs chansons, en dépit des gros sous des salles trop grandes qu'ils rempliraient dans le temps de le dire. Dans mon petit repère tout rouge, les concerts ne commencent jamais bien avant minuit ; le temps de boire beaucoup de Moosehead avec le percussionniste.


J'avais parié avec C. qu'ils ouvriraient sur Ursuline : une introduction pianotée suivie de cadences de guitares scindées et le bal était ouvert, dans un délire certain. Julien brise une corde dès ses premiers  accords ; puis la nuit s'élance au son d'un chaos si bien organisé, d'une progression de notes fantômatiques et de glorieux solos de guitares superposées. Ces gars là arrivent à piocher sur leurs instruments et à crier dans leur microphones d'une façon qui me ravit.  

Une sublime Monogamie. Étienne d'Août qui m'arrache les larmes des yeux à chaque fois. Une parfaite montée des Collemboles. La Valérie, qu'on n'espérait plus et Christobalt, pour finir. Vous savez, cet instant de pur bonheur qui vous envahit parfois, au détour d'un concert ? Le ravissement de vivre cette extase musicale, la fierté de voir ces gars d'ici créer d'une façon si ingénieuse. Et la naïve impression que c'est encore une fois l'un des plus beaux concerts que l'on ne verra jamais. 

samedi 21 février 2009

Je voudrais me déposer la tête

J'ai la gorge coincée par mes amygdales éléphantesques et les mots ne parviennent même plus à en sortir. J'ai avalé de la purée de pommes au petit déjeuner, de la purée de fraises et poires au dîner et je n'ai pas d'appétit pour le souper. Envie d'une longue douche ni chaude et ni froide, pour adoucir la fièvre. Pas un brin d'énergie pour m'y traîner. 

J'ai la tête qui virevolte ; sous ma peau ça bouille et c'est le Pôle Nord la minute qui suit. Cette peau sensible comme celle d'une jeune fille qu'on touche pour la première fois. 

Je pense que je vais aller me cacher sous les couvertures jusqu'à demain, avec mon ourson polaire. 

jeudi 19 février 2009

Old man

Il était une fois ce vieil homme que je retrouve immanquablement à ma Brûlerie. À presque chacune des centaines de fois où j'y ai mis les pieds, depuis trois ans, il était là aussi. Il fume la pipe ou bien il picole sa canette de Coke Diète. Un papillon noué au collet de sa chemise, et quand il neige il enfile sa "soute" d'hiver mauve et verte. Jamais je n'ai entendu le timbre de sa voix. 

Chaque fois, j'envoie un sourire timide ou un bonsoir soufflé vers ses grands yeux tristes. Chaque fois, il jette un regard furtif à sa droite, il cherche impatiemment la mire de cette gratuité. Mal à l'aise de ne pas trouver, il tambourine sur sa canette.

Je me demande d'où il vient. Je me demande s'il a un jour été férocément amoureux, s'il se souvient des papillons qui tourpillent dans le ventre. Je me demande s'il était menuisier, fermier ou s'il a fait la guerre. Je me demande à quoi il pense, quand de ses mains il joue nerveusement avec son mouchoir. Je me demande pourquoi il ne se distrait pas d'un journal,  si on ne lui a jamais appris à lire. Je me demande où il vit. Je me demande surtout s'il a un chat pour lui tenir compagnie. 

Le dernier automne, Jean-François a discerné ma mine un peu dépitée par l'absence de réponse à ma vaine tentative. Je t'en prie, qu'il m'a dit, continue de lui tendre la main ; un jour il se sentira digne de ton sourire.

Ce soir, le vieil homme m'a souri et saluée de son bérêt.

mardi 17 février 2009

La chambre


Bientôt, je ferai du café au lait de soja et nous parlerons, cachés dans ma chambre mauve. Nous parlerons jusqu'à des heures marginales, quand la maison devient hantée. Pieds nus, tu me feras rougir. Je te dessinerai des marées au creux du dos, la peau comme une page blanche jusqu'à l'aube. Bientôt, il fera très sombre et de ma fenêtre ce sera l'hiver encore. 

dimanche 15 février 2009

Tes jambes, aussi

Pouvant se balader le matin dans ma cuisine, s'allonger contre moi le soir, s'étirer sous le couvre-pied, se plier et se déplier sans faire de bruit. Je pense à tes jambes, c'est vrai. Des jambes imprégnées de finesse. Faites comme on sait les construire dans certains pays de l'Europe du Nord. Des jambes de marathonienne du Kenya, mais ici, à Montréal, toutes blanches et toutes femmes, glacées, suppliant d'être réchauffées. Me sentir tout à fait concerné par  la splendeur de tes jambes, puis retourner faire brûler la mairie, la prison et l'hôtel. Trancher la tête de ceux qui nous auront oubliés. La nuit, vingt-cinq degrés sous zéro, ajouter dans le ciel l'hiver orangé de nos incendies.

- Maxime-Olivier Moutier, Lettres à mademoiselle Brochu dont je tourne la dernière page à l'instant

vendredi 13 février 2009

15h22 d'une semaine qui s'achève

Promesse à moi-même : l'an prochain, faire le saut vers Montréal. Peu importe le confort des petites villes et leurs quotidiens inébranlables. Peu importe les chemins des compères et les renonciations inéluctables. Peu importe les considérations académiques bagatelles épisodiques. 

Peu importe, il faudra m'y hasarder. 

lundi 9 février 2009

Leur part d'infini

En stage aux Îles-de-la-Madeleine, j'ai eu le bonheur de cavaler encore plus loin. Parce qu'il y a la médecine en région très éloignée, et puis celle-là, délaissée comme un secret bien gardé. S'agissait d'enfiler une tuque, trois paires de bas chauds et des combines sous mon uniforme de jeans et de laine.

J'ai les genoux dans le dos du pilote de notre avion 4 places. Ça bourrasque un peu, pas de quoi s'affoler ; on a tapé une hélice qui faisait des siennes avant le départ. Le soleil et moi, on s'éveille tout juste que l'engin se pose sur la piste longue comme mon salon et ma cuisine ensemble, qui s'achève sur un bout de falaise. Le pilote nous conduit au CLSC en quatre roues ; il s'agit de notre premier patient. Le deuxième, c'est le chien de Mr Walsh.

L'Île d'Entrée, c'est bien ici. Un monde en soi, un monde de sept kilomètres carrés pour 96 Robinsons. Ici tout se compte : 110 vaches, 28 camions, 22 poulets, 8 tracteurs, 7 collines, 6 chevaux et 5 chemins. Il y a là une école. Tous niveaux confondus, elle serait occupée par les rires de huit rouquins. Et comme il y a autant de bêtes que d'habitants, on a séparé l'Île en deux ; la moitié en pâturage pour les vaches, l'autre demie pour les pêcheurs et leurs familles. 

L'endroit me rappelle tant un bout de terre oublié au large de l'Islande que les images  et les accents se superposent. Le récit de Vestmannaeyjar, j'y viendrai un prochain soir d'hiver. 

Pour la quatrième fois depuis ce matin, on me raconte la légende de ce Johnny Cash oublié du golfe du St-Laurent. Ivan Quinn, à la fois musicien, épicier et maire de l'Île. Il paraît que dans sa microscopique épicerie insulaire, sa vieille Fender gardait le fort, plantée au milieu de la place dans un garde-à-vous perpétuel. Sur demande, il vous poussait quelques chansons et vous vendait une boîte de soupe Campbell.

Et de la porte de son épicerie, on voyait, je vous jure, des centaines de kilomètres de vent et d'eau salée.


dimanche 8 février 2009

Marie-Hélène au mois de mars

On retrouve dans ce premier récit toute l'ardeur de style de Maxime-Olivier Moutier, avec ses images décalées et ses effets d'humour à froid. En trois mots, il vous fait un portrait, vous installe dans sa chambre, vous dépeint son désespoir. Tout à la fois.

Anéanti après une tentative de suicide échouée de peu, après une histoire d'amour échouée de beaucoup, il appelle le 911 et prépare ses valises. On l'interne dans cet étrange monde où règne l'ordre, dans ce temps d'engourdissement et de rationalisation. Avec les autres fous qui hurlent, les infirmières qui sourient comme des espionnes et les caméras partout. Avec le vide rédempteur qu'apporte chaque soir le somnifère convoité dès le matin. Faire l'expérience du vide, tenter de comprendre pourquoi elle l'a trahi. 

« Je vais devoir la baîllonner. Le matin, le soir, la fin de semaine, en lui parlant, en criant plus fort qu'elle, pour ne plus qu'elle répande son désordre. Lui parler, en lui faisant l'amour à répétition. Je vais devoir la baîllonner tout le temps. Je vais devoir acheter des kilomètres de ruban adhésif, pour mieux la baîllonner. Du ruban de qualité. »

« Je vais devoir attendre. Attendre d'avoir des hallucinations, pour passer le temps. Attendre jour et nuit que quelqu'un se décide à crever. Attendre un nouveau coeur. Un coeur de porc, à l'abattoir, au fond d'un seau. Un organe tout neuf, prêt à aimer Marie-Hélène une nouvelle fois. »

Roman autobiographique, l'auteur souligne dans sa préface que c'est de la fiction, lui donnant une gravité et une acuité qui saisit l'attention ; il ne s'agit pas d'un roman comme tant d'autres, d'ailleurs n'est-il pas sous-titré Roman d'amour ? Le roman d'un amour chimérique, d'un état de crise où s'exacerbe l'individualité. Comme une générosité, un altruisme scié à vif, un débordement d'amour qui conduit à la noyade.

mardi 3 février 2009

Janvier

La tête appuyée contre le hublot, je regarde la piste de décollage se dissiper. En moins de deux, les hélices font dévier les Îles-de-la-Madeleine et aussitôt les glaces jouent de leurs formes géométriques. Je cherche une baleine, un loup marin ou un hippocampe ; un sourire qui grandit et les yeux rivés sur l'océan.

À nouveau, cette sensation d'allégresse qui se répand comme un grand frisson, chaque fois qu'un avion s'envole sous le frêle poids de mes bottines. Partir comme une quête incertaine, sur la curiosité d'un élan. Cet après-midi encore, revenir avec le ravissement d'avoir connu et la fierté d'avoir osé .

J'ai goûté janvier à travers les rafales de vent sur les dunes et la cadence des Madelinots. J'ai aimé janvier à travers une partie de cartes à l'urgence de l'hôpital quand le bon temps gardait les patients sous le soleil, à travers leur gratitude et mes premières victoires les jours de neige. 



J'aurai souvenance d'une épave à moitié couverte de neige, d'un littoral verdi par des nuages que traverse le soleil. D'une maison isolée comme une plante sauvage au milieu du désert, d'autres que l'on dirait alignées par un enfant sage. De la tempête du siècle qui ne vient jamais, des pêcheurs qui m'invitent à dîner à leur table, et de toutes ces histoires pas possibles qu'on y raconte.

Il fait bon de partir, chaque fois, effleurer les rivages.